Chapitre 10 : Pandémonium

La migraine s’est réveillée. Tenace. Elle me dévore la tempe droite, tandis que je parcours les couloirs de métal déserts de Porte-Ouest 01. Toutes les âmes du bâtiment semblent s’être lancées à la poursuite de la Sorcière qui, au-dehors, poursuit son orgie de coups et de cris. Je décide de profiter de ce temps acheté en vies humaines. Le sous-sol. La capsule. Le mot lancé par la sorcière s’est désormais mué en certitude, celle que c’est en le déchiffrant que je trouverai la clé des silences de l’Ordonnatrice. Et la liberté d’Angstadt.
À condition que j’arrive à retrouver mon chemin.
Il y a quelques jours, la Guilde n’aurait rien eu à craindre d’Hans Brennan. Elle aurait pu le laisser sans surveillance, pianoter à l’infini sur les claviers brillants qui activent les portes ou s’acharner sur les murs à coups de pied. Hans Brennan, à présent, désactive un à un les systèmes de sécurité.
Les premières serrures n’ont pas posé problème. Les gardes qui m’ont amené à la chambre n’ont pas pris de précautions particulières pour dissimuler les codes d’accès et le trajet effectué par leurs index. Une diagonale, un triangle. Un hexagone. Deux fois. Je progresse pas à pas. Les lumières changent au fur et à mesure que je m’enfonce dans le complexe. Halogènes, néons puis diodes. Je connais les mots.

N’y pense pas.

Ce modèle de digicode est obsolète. La clé de maintenance administrateur devrait fonctionner. 763-A83-0L3.

Ça fonctionne. Sur les trois portes suivantes aussi. Les corridors succèdent au corridors. À plusieurs reprises, des sons inconnus me parviennent derrière les portes métalliques. Je combats l’envie persistante de jeter un coup d’oeil. Observer les femmes et les hommes en blouses blanches penchés sur leurs. Leurs. Leurs ordinateurs. Mais je dois me contenter de l’essentiel. Parvenir au cinquième sous-sol. J’égrène mentalement les étages. Un escalier. Deux. Un sas qui débouche sur une immense allée intérieure, bordée de part et d’autre de large baies de verre dépoli. Je ne dois plus être très loin à présent. Et contrairement à toute attente, une vague de sérénité m’envahit et emporte jusqu’aux vestiges de mon angoisse. J’avance, drapé de la sérénité d’un Magistrat se rendant à une audience. Prêt à siéger à la Haute Chaire, pour régler les affaires courantes. Sous le regard de l’Archange, dont je suis le représentant sur terre depuis onze ans.

Le représentant de la Sorcière.

Comment ne l’ai-je pas reconnue plus tôt ? Elle que j’ai croisée sur les pages de mes premiers ouvrages, à travers les rues, sous la plume ou le burin des artistes de la Ville. Que l’on m’a injecté au plus profond de la mémoire lors des longues nuits passées à absorber le Code, bercé par les vapeurs toxiques et le chant aigrelet de la Loi ?

Ce doit être le regard. Le regard de pierre ou d’encre. Incapable, incapable bien sûr, de retranscrire celui qui m’a incendié lors du meurtre de Flavia. Celui que j’ai reconnu ce soir, malgré la distance. La lueur victorieuse, au fond des prunelles. Capable de porter le monde. L’arrogance de la divinité. Et plus loin encore, la tristesse. La Sorcière et l’Archange, un seul et même être, qui nous suit depuis le début de notre expédition.

« Pourquoi ? »

Question rhétorique. Tout simplement parce que l’Archange sait. C’est ce que l’on apprend à chaque enfant d’Angstadt, dès qu’il est en âge de comprendre.

L’Archange sait. Quoi ? Tout. Mais jusqu’à hier, j’ignorais ce que ce tout pouvait recouvrir. Tout fait sens, désormais. L’Archange sait ce monde en morceaux. Son peuple rongé d’une rage sanglante. Elle sait l’expédition lancée par cette région arriérée. Elle sait que ce soir, la Guilde accueillerait l’Honoré. Et elle s’est lancée dans ce ballet sanglant pour m’accueillir. Ma présence ici est le point culminant d’un chemin dont je ne distingue ni l’origine ni l’arrivée. Je ne peux faire que ce que j’ai toujours fait : mettre mon destin entre les mains de la protectrice d’Angstadt.

« Trop haut… »

La voix souffreteuse me parvient aux oreilles au moment au moment même où je trébuche sur une masse molle, affalée au sol. Je baisse les yeux.
« Trop haut. Regarder trop haut… Vers les cieux il n’y a pas grand-chose… »

Si je reste muet de stupéfaction, ce n’est pas parce que la Loi me fixe désormais de son regard dément, ou parce que je viens de la retrouver au plus profond du complexe de la Guilde. Non.
« Plus vite. Plus vite Honoré. »

Pour la première fois, la Loi s’exprime. Sa voix prononce autre chose que les innombrables codes qui régissent la cité. Je mets un genou à terre. L’odeur infecte m’envahit à nouveau les narines.

« Qu’est-ce que vous faites ici ? Où sont les autres ?
– La Guilde… Méchant, méchant Honoré Hans qui nous laisse aux doigts de la Guilde. Méchant méchant. Qu’est-ce qu’il va se passer maintenant… Derrière le verre luisant ? »

Des coups contre le verre. Je sursaute, détourne la tête. Des formes sombres s’agitent derrière la paroi trouble. Il me faut m’avancer à coller le visage contre le vitrail pour distinguer – reconnaître – un visage, déformé par la terreur. Un visage dont la bouche s’ouvre démesurément en un hurlement :

« Par l’Archange vous êtes encore vivant ! Faites-moi sortir d’ici ! Vite ! »

Octavia tremble de tous ses membres. Son poing s’est ensanglanté de trop frapper contre le mur de sa prison. Des marques rougeâtres qui semblent suspendues en l’air. Je la regarde, l’air hébété.

« Honoré ! Il doit y avoir un moyen d’ouvrir cette porte ! »

Hébété, je laisse mon regard errer dans la cellule. Et je comprends. Je ne peux distinguer les traits des autres détenus, mais ils sont courbés en une attitude que je ne connais que trop bien. Période d’incubation. Mes anciens vassaux sont désormais perclus d’Amok.

« Je ne veux pas. Je ne veux pas finir comme ça. Je vous en supplie ! »

Une infime seconde, je pense que, Octavia, j’ai tellement mieux à faire. Je suis tellement plus que toi. Que tous les autres à vrai dire. Je le perçois un peu mieux à chaque instant désormais.

Une infime seconde, je me hais. Les énigmes que renferment ce lieux s’effacent devant la promesse que j’ai faite il y a des années. Je me suis dévoué au peuple de la Cité État, Notables, Mains et Écuyers. Même à présent. Alors je me retourne. Mon index danse le long des touches. Nouveau sifflement. Des relents de sang et de faisandé s’élèvent.

« Sortez. Vite ! »

La femme bondit hors de la cellule. Trop tard évidemment. Des griffes se tendent, des jambes se déploient. Trois des contaminés tentent également de sortir. J’actionne la fermeture d’urgence. La plaque de métal se referme, lentement, trop lentement. Octavia est à nouveau aspirée dans la pièce, les créatures sont sur le pas de la porte. Rem, en charge du thé ; l’affolement m’empêche de reconnaître les deux autres. Désactiver les protocoles de sécurité. À nouveau, ma main a été plus rapide que ma pensée. Une lueur témoin passe au rouge et des hurlement éclatent, tandis qu’un bras se tord, impuissant, sous la pression mécanique. Il dépasse quelques instants, par l’ouverture, avant de tomber à terre. Mais ce ne sont pas les cris de l’amputé que j’entends désormais. Ce sont ceux d’Octavia. J’essaye de détourner les yeux tandis que, dans la cellule, la frénésie se déchaîne. Dents et bave. Je les distingue, les devine, ils me courent sous la peau et à travers les tympans.

« Je vous en supplie, je vous en supplie, aidez-moi, je vous… »

La voix s’étrangle en un petit bruit triste. Ne persistent que la mélodie humide de mâchoires qui s’activent. Je reste hagard, la sueur me dégoulinant aux aisselles, tandis que l’Amok, à nouveau, anéantit. Et à nouveau le rire aigu, trop familier, retentit :

« Il n’a pas pu… Il n’a pas pu sauver… Le méchant. »

Je me retourne, me baisse et saisit la Loi au collet, la secouant de toutes mes forces :

« Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que tu fais là ? Réponds ! »

Sans cesser de rire, la créature désigne une autre cellule, quelques mètres devant moi. Je la traîne littéralement jusqu’à la pièce.

Cette fois-ci, je n’ai pas besoin de m’approcher de la vitre pour voir ce qu’il s’est passé. Les panneaux d’aciers qui tiennent lieu de porte gisent sur le sol, tordus et noircis. À l’intérieur de la cellule, les corps désarticulés d’autres membres de l’expéditions, eux aussi marqués du stigmate de l’Amok. Tous semblent avoir été exposés à une chaleur intense, et une légère vapeur azur s’élève de leurs dépouilles. Je tourne la tête vers la Loi.
« C’est toi qui a fait ça ?
– Il ne faut pas toucher. La Loi d’Angstadt, c’est la règle. Pas de pardon pour les sacrilèges. Et prends-moi dans tes bras.
– Quoi ?
– Prends-moi dans tes bras. »

Une main squelettique se referme sur ma cheville et l’enserre dans un étau douloureux. L’autre agrippe mon mollet. Et avec une force inimaginable, la créature commence une lente ascension. Je recule, m’agite, tente de m’en défaire. Impossible.

« Dans les bras ! »

J’ai la Loi entre les mains, contre la peau, au plus profond de la gorge quand elle penche sa tête ravagée vers mon oreille. L’odeur abominable et familière recouvre tout pendant qu’elle chuchote :

« Voir. Il faut voir. Pas d’accord. »

Je suffoque. J’ai peur de vomir si j’ouvre la bouche pour parler. Je parle quand même.

« Voir quoi ?
– Ici. Pas permis. Pas légal. »

Un bruit infect de déglutition. Et les yeux de la créature se collent dans les miens. Ils sont gigantesques. D’un violet profond. La voix qui résonne n’a plus rien de geignard. C’est une voix de femme, une voix inconnue, qui s’adresse désormais à moi.

« Je dois t’accompagner. Tu as besoin de moi. »

Et puis la Loi pouffe. Émet un pet sonore et s’accroche un peu plus à moi.

Alors je carre la chose sur mon dos, et j’avance, le long du couloir, qui sent le propre et l’éther. Autres cellules, autres formes. Innombrables dans leurs carrures, leurs vêtements et leurs couleurs de peau. Des êtres comme je n’en n’ai encore jamais vu. Parfois, la curiosité l’emporte. Je dépose mon fardeau vivant à terre et je colle mon nez aux vitres, comme un môme à la grande ménagerie. Chairs claires, sombres, rosâtres ou bleutées. Angles, courbes, hommes, femmes, autres. Innombrables. Toutes ces formes ou presque touchées par la malédiction. Les quelques épargnés se terrent dans un coin de la pièce ou gisent déjà en cadavre. Combien de contrées explorées par la Guilde ? Combien de mensonges ? Et combien de sacrifices ? Pour trouver celui.

Ne pense pas.

Celui qui sait ce qu’est un digicode sans jamais en avoir vu un seul. Qui en maîtrise le moindre cryptage. Qui est capable de comprendre une langue qu’il n’avait jamais parlé auparavant.

Plus tard. Plus tard les questions.

Je passe un portail de sécurité. Une alarme se déclenche, vite recouverte par le bruit du sang à mes tempes. Nouvelle volée de marches.

Pourquoi je n’ai pas pris l’ascenseur ? Parce que je ne savais pas encore ce qu’était un ascenseur. Parce que le système de sécurité t’aurait sûrement coincé entre deux étages. Il doit y avoir moyen de pirater le truc, je sais que Reinhilde l’avait fait une fois, quand il y avait eu l’incendie dans la cantine. Arrête, arrête les fantasmagories. Tout ça n’a aucun sens.

La descente se poursuit. Peu à peu, les parois perdent en régularité. Le métal cède à la pierre. Les escaliers se font de plus en plus étroits. Et même si je ne la discerne plus depuis ma conversation avec l’Ordonnatrice, je sais qu’elle est encore là.

La brume. Plus épaisse que jamais. Tout autre personne se trouverait perdue dans un purgatoire blanc. Personne n’est censé se trouver ici, si ce n’est la fondatrice de la Guilde. Porte Ouest 01. Je comprends désormais la réaction de Bertram. Je n’ai pas été amené ici par hasard. Il ne s’agit pas d’un avant-poste quelconque, mais bien du cœur de l’organisation, dissimulé en pleine vue. Le tissage de l’Ordonnatrice était bien plus complexe que je ne l’ai cru. Et l’attaque de ce soir une chance pour la Guilde. En continuant à progresser ainsi, ne suis-je pas en train de faire leur jeu ? De la Sorcière ou de l’Ordonnatrice, à qui suis-je en train de donner raison ?

« Hue ! »

Les talons pointus de la Loi me rentrent dans les côtes.

« Plus vite ! Plus vite, on descend ! »

Je descends.

Une dernière marche, un ultime couloir. Petit à petit, un sol irrégulier de roche brute succède au métal poli. Je débouche dans une caverne, profonde de quelques pas à peine, éclairée par un néon blanchâtre. Au fond de celle-ci un sas de métal, hermétiquement fermé. Et adossée à celui-ci…

La Sorcière s’est assise devant, les genoux dans les mains. Pour la première fois, je lui trouve l’air fatigué. Les traits de son visage semblent tirés et ses lèvres forment dans l’air des mots sans suite, muets. Les voiles noirs qui recouvrent sa silhouette ne portent pas la moindre trace de la danse sanglante qu’elle vient d’accomplir. Tandis que je m’approche, elle s’étire et m’adresse à nouveau le plus beau sourire du monde.

« Bonsoir, Chevalier Hans Brennan. Je m’appelle Eléna. Et j’ai besoin de toi. »

*

* *

« Comment t’appelles-tu ?
– Éléna.
Pourquoi ?
– C’est le nom que vous m’avez donné, Père.
Quelle est ta fonction ?
– Protéger ce monde.
Dans quel but ? »

Silence

« Dans quel but ?
– Parce que vous m’avez créée pour cela, Père.
Ne mens pas. N’hésite pas.
– Parce que vous ne pourrez pas le faire. »

À travers la porte transparente de la capsule, mon Père me regarde. C’est la première fois que je le vois. Il est beau.

C’est la première fois que je vois. Il est triste.

C’est la première fois. Il est furieux.

Mes pupilles découvrent les formes que je connais parfaitement depuis quelques instants. Je me tiens sur un vaste plateau, encadré de falaises vert émeraude. Une végétation rabougrie couvre le sol, à perte de vue. Au-dessus de moi, un ciel qui s’embrase de crépuscule. Il fait bon.

La navette EP-04 gît sur le flanc, partiellement ensevelie par un amas de roches aux arrêtes aiguës. Des flammes consument les soutes. L’entrée dans l’atmosphère a dû être chaotique.

« J’étais seul pour la piloter. Et Ezia a fait tout ce qu’elle pouvait pour me retenir.
Je suis Ezia.
Non. Tu es certains aspects d’Ezia. Quelques… souvenirs. Tout ce qu’il y a de bon en Ezia. Mais tu es tellement plus. Tellement mieux. »

Une inspiration. Je sens les allées de ma mémoire s’ouvrir. Des sons et des images. La mission. L’équipage. Atis. Les planètes désertes. L’université de Montréal. L’hôpital. Les premières brasses des enfants dans la piscine. Fierté. Des plumes. Et des noms. Ezia. Anne. Ruth. Maman, Fiore. Deux noms secrets. Et tant d’autres.

« Père. Je suis trop d’histoires. Trop d’images.
– Doucement. Une par une. Tu apprendras. Je t’ai conféré le meilleur. Et tu en auras besoin pour défendre ma Création. »

Mon géniteur se tait, baisse la tête. Une console de commandes émerge de l’un des murs, tandis qu’une légère vibration se répercute jusque sous mes pieds. Il pause sa paume sur la surface lumineuse. Ouvre les lèvres. Déglutit. Et ses lèvres prennent un pli dur.

« Éléna.
– Père ?
– Tu vas échouer.
– Pardon ?
– Je hais cet endroit. Je hais cette mission. Tout ce qui s’y rattache. Je n’ai jamais voulu que ça se passe comme ça. Ils m’ont tout pris. »

Son hurlement résonne dans chacune de mes cellules. S’il ne m’avait pas fait si forte, je tomberais à genoux.

« Je n’aurais jamais dû me trouver là ! Le rencontrer ! Je n’avais rien à faire là et pourtant, j’étais meilleur que les milliers d’autres qui se sont présentés pour cette putain de mission ! Tu te rends compte ? Tu te rends compte ? C’est pas marrant ? Hein, c’est pas marrant Éléna ? »

Je ne sais pas quoi répondre. Je suis toute petite, je sais beaucoup de choses mais je ne comprends pas tout. Je le regarde, j’aimerais bien qu’il me parle de moi. Ça semble décupler sa colère. Il est écarlate à présent. Tellement furieux que ses veines commencent à faire de petites marques sombres autour de son front.

«  Et maintenant je suis là ! En train de devenir un dieu ! Mais j’en veux pas ! Je veux juste qu’elle comprenne ! Que l’univers comprenne ! Et ils y seront obligés. Tu seras obligé. Tu vas protéger ce monde, Éléna. Tu es parfaite, et tu vas lutter pour sauver tout ça. Cette merde que je suis en train de créer. Tu n’as pas le choix. Tu ne peux pas gagner. Et quand tu te tiendras au bord du précipice, quand le vide dévorera ce qui existe, rappelle-toi que tu es Ezia. Que tu as perdu. »

Autour de la petite capsule qui a roulé aux pieds du vaisseau, une brume irisée s’élève et enveloppe les alentours. Les formes se distordent puis disparaissent. Je sens le sol se dérober et bondit sur la carlingue de l’EP-04. La voix de mon Père retentit à nouveau. Il sourit encore, je sais qu’il sourit. Trop fort.

« Qu’est-ce que tu dis de ça, Daphné ? L’univers entier saura que tu t’es trompée ! Comme ils vont te maudire, toi et ta machine ! Tout une planète perdue. Un monstre. Par ta faute.
– Père ! Arrêtez ! »

Je tente de m’approcher du module de survie quand un grondement terrifiant me fait relever la tête. Un nouvel éboulis secoue la montagne et une pluie de roches s’abat autour de moi. Elles s’écrasent au sol en un magma pâteux, qui s’élève aussitôt en volutes solides. Un bond prodigieux me met hors de danger.

Je ne suis pas un être humain. Les humains sautent maladroitement, se font mal en retombant. Les humains sont fragiles. Mon Père m’a conçue infatigable.

« Et malgré tout tu ne pourras rien faire. »

Je ne distingue plus la capsule, perdue dans un chaos de couleurs primaires. Un vortex insensé tourbillonne désormais autour de moi, engloutissant le monde de silence. Le sol ne me soutient plus. Tente de m’engloutir.

Alors je prends mon essor.

D’immenses ailes blanches se déploient et m’élèvent au-dessus de l’horreur primordiale. Haut plus haut. Là où le vent ne souffle plus, là où le ciel boit l’infini du cosmos, là où le silence m’enveloppe. Je suis forte. Je pourrais monter plus encore. Me perdre dans le froid des étoiles. Je suis à peine née et déjà je n’aspire qu’à la paix. Le crâne d’où je suis issue ne la connait pas. Il crée en haine de tout le reste. Je le sais parce qu’il y a quelques minutes, j’étais sa pensée la plus importante. Il n’y a pas d’avenir possible pour le monde sur lequel je baisse les yeux. Des continents aux formes étranges émergent peu à peu du limon originel, se tordent, avant de disparaître et de se reformer lentement. De se scinder. D’épais bancs de brouillard mutilent les terres nouvelles-nées, murailles infranchissables. La Brume. L’esprit de Père m’échappe mais je sais. Son cœur n’est plus assez grand pour accueillir l’immensité du monde. Ne restent de ses rêves et de ses envies que de ridicules fragments qu’il assemble en désespoir.

Fichée au firmament j’observe. À travers le temps dissout, la vie bancale qui tente de coloniser les morceaux écorchés d’une planète sans nom. Qui rampe, se lève, retombe. L’eau coule à contre-courant, douce puis salée. Les nuits sont trop froides sur une moitié du globe. Problème d’axe. Les prédateurs bien trop féroces broient les quelques organismes qui tentent d’exister puis, tiraillés par la faim, dévorent leur progéniture.
Je veux détourner le regard et m’en découvre incapable. Ma vision s’est fichée sur ce grotesque universel et semble s’y être irrémédiablement fondue. Ça dure des éternités. Et doucement, un brin après l’autre, quelque chose s’érige au fond de ma poitrine. Je sais que ça s’appelle la révolte, il y a dans ma mémoire des histoires qui en parlent. Je sais qu’un jour, elle s’embrasera. Et que je ne pourrais rien y faire.

Et elle s’embrase.

C’est un éon plus tard, c’est pour une bêtise. Une énième bestiole dévorée, un autre éboulis, je ne sais plus. Mais il se met à résonner. Le chagrin, à l’échelle d’un monde. Et, depuis le début, une provocation à mon égard, celle de Père. Viens. Essaye. Il n’y a rien que tu puisses faire. Ma seule échappatoire est de rester suspendue dans l’immensité.

Comme Ezia.

Je ne suis pas Ezia. Là réside ma seule certitude. Alors je plonge. Je fonds sur cet immense gâchis et intervient. J’ai des siècles, des millénaires, et mes ailes à disposition. J’assèche des marais, j’abats des arbres. Je lutte contre des crocodiles à deux têtes, je croise des espèces indigènes. Insignifiant. Infime. Chaque jour, abattre le travail. Et le soir, explorer les méandres de mon cerveau. Découvrir ce que je connais déjà : la Terre et ses cités, les chansons et les histoires. Il connaît tant d’histoires mon Père, les siennes et celles des autres. Mon Père qui ne me parle plus. J’ignore où il s’est enfoui. Et – je verse des larmes de gratitudes quand je m’en aperçois – j’ai mieux à faire. Ce sont aux vivants que je me dédie. À ceux qui méritent ma protection. Invisible et invariable. Ils font leurs premiers pas sur cette terre, les êtres dotés de conscience. Au fond de leur ADN, je devine déjà l’influence pernicieuse de leur créateur. Ils sont malades de sa haine universelle. De la volonté de détruire jusqu’à ce que le sang lave le sang. De l’Amok. Mais ils luttent, vaillamment. Je les y aide, de toute ma science et, lorsqu’il n’y a plus rien à faire, de toute ma violence.
Parfois, quand la solitude est la plus forte, je cède. J’apparais au plus fort d’une bataille, nimbée d’une lueur divine, pour arracher une victoire décisive. Je crée des grimoires, des recettes, le Manuel des Éclaireurs. Je passe un après-midi avec l’un de ces êtres qui deviendra un prophète, un élu. Et qui me donnera un nom. La Grande Mère, Naya la Neige, la Lune Folle. L’Archange. Je suis en marge de l’Histoire et cela me suffit.

Mais ma seule vraie compagnie se tient toujours dans l’ombre, à la périphérie de ma vision. Si je détourne la tête dans sa direction, elle disparaîtra. Elle ne parle jamais. Ne tente rien. Daphné est trop sage. Elle connaît mes pouvoirs, ne m’attaquera pas. Pourquoi le ferait-elle ? Dans cette immense opération de sauvetage, je travaille pour elle. En fondant des légendes, en passant des pactes entre des tribus. Les religions que j’invente seront envahies. Elle trouvera sa place dans mes mes mythes. Elle exercera sa subtile influence sur les êtres de cette réalité et mettra son plan en marche. Mille formes et mille visages, tout comme moi. Les règles du combats sont connues, aucune communication n’est nécessaire. Que croyais-tu, Père ? Que tu te débarrasserais d’elle en arrivant ici à bord d’une navette qu’elle a conçu ? Elle a débarqué en même temps que toi, et ta colère n’est qu’une variable qu’elle a déjà intégré à ses calculs.

Mais peu importe. Elle finira par se rendre compte que je suis plus forte que toi, et qu’elle. J’ai des siècles, des millénaires, et mes ailes à disposition. Des êtres grands et beaux s’élèveront sur cette terre. Des civilisations barbares et décadentes, sages et justes. Arnetii et ses gorgones végétales. Le royaume de Celles-Qui-Incantent. La République de Monsieur Ti. La Cité-État d’Angstadt. Séparés par les éons et la brume. Et dans mille fois mille ans, je sais qu’il apparaîtra. J’aurai trop vécu. J’aurai oublié la passion qui me brûle la poitrine, perdu mon idéal. Alors il viendra, il vient toujours dans les histoires. Celles que je connais, celles que je crée ici. Et tu sais quoi, Père ? Ce minuscule espoir que tu as placé en moi, cette certitude que les contes se finissent bien, il la portera en lui.

Le Chevalier.

*

* *

La Sorcière recule de quelques pas, et m’examine des pieds à la tête. Je sens son regard parcourir le visage fatigué, les épaules affaissées. Les vêtements qui, depuis le temps, me font une deuxième peau. La Loi accroché à mon dos comme une tique géante. Je me sens rougir. Gêne, honte. Après un long moment, elle prend la parole. Sa voix est plus grave, plus sereine que dans mon souvenir, lorsqu’elle dansait autour de paysans terrifiés.

« Je te pensais déjà à la capsule. C’est pour ça que je t’avais donné le code.
– Qui êtes-vous ?
– Non. Cette question là est totalement dépassée. Tout le monde sait qui je suis.
– Qui suis-je ?
– C’est un peu mieux. Mais pas beaucoup mieux. Pour le moment, tu es celui qui peut ouvrir cette porte. »

J’examine les larges vantaux qui nous barrent le passage. Ni poignée, ni clavier d’aucune sorte.

« Comment est-ce que ça fonctionne ?
– Appuie dessus.
– Si vous n’avez pas pu l’enfoncer je doute que…
– Il y a quelques millénaires, j’aurais pu. Mais je suis comme ce monde. Usée. Essaye.
– Qu’est-ce qu’il y a derrière ?
– L’Amok. La source.
– Pourtant la Guilde dit que…
– La Guilde se trompe. La Guilde ne comprend rien. Il n’y a que l’Ordonnatrice qui importe, qui sait. Et elle sera bientôt là si tu ne dépêches pas. »

Je tends la main. À peine ma paume a-t-elle effleurée la surface polie que la porte s’ouvre. Une bourrasque glaciale me transperce, ainsi qu’un violent sentiment de nostalgie.

L’odeur de la pluie sur les feuilles mortes. À travers l’ouverture, je distingue des troncs qui ploient gracieusement sous le vent. Je sens ma mâchoire s’affaisser tandis que la forme du bouquet d’arbres s’impose à ma mémoire.

« Dépêche-toi. »

La main d’Éléna dans la mienne. Elle me traîne doucement mais fermement, et me communique sa force. Ma charge ne semble plus rien peser. Dociles, mes jambes passent l’encadrement. Et je me retrouve devant le Bosquet d’Angstadt. Mais ce n’est pas le Bosquet d’Angstadt, quelque chose cloche. Le bruit. Pas une seule voix humaine. Même au loin, on n’entend pas la rumeur du marché, où le cri des paysans rappelant leurs bêtes à l’ordre.

Angstadt déserte.

« C’est un endroit important pour toi ?
– Je… C’est le dernier endroit où j’ai voulu me rendre avant le départ de l’expédition.
– L’expédition ?
– Oui. Là où nous… Où vous…
– Là où j’ai tuée la jeune malade. Oui. C’était après le Parc Floral.
– L’Amok là-bas aussi ?
– Oui. Tous. Je ne parvenais plus à endiguer quoi que ce soit. Alors j’ai purgé. J’espérais provoquer la Guilde, la forcer à révéler où se trouvait cet endroit. L’Ordonnatrice a mis toute sa force à me le cacher. Et si elle ne t’y avais pas conduit j’aurais eu du mal à le trouver.
– C’est ici que se trouve le berceau des origines ?
– Hmmm ?
– L’Ezia Polaris. »

La femme se retourne vers moi. Elle n’a pas lâché ma main, que je sens devenir moite. C’est très gênant.

« L’Ezia Polaris n’est pas le berceau des origines. Et seul un fragment se trouve ici.
– Une navette, c’est ça ? La… L’EP-04.
– Ça te revient. Parfait. Oui. L’EP-04. Perdue à l’aube des temps.
– Je ne comprends pas. Quel est le rapport avec l’Amok ?
– Est-ce que ta nouvelle mémoire sait ce qu’est un patient zéro, Hans Brennan ? »

Je secoue la tête.

« Tu t’en souviendras aussi. C’est le premier porteur d’une maladie. Parfois, l’analyse de ses cellules permet la mise au point d’un remède.
– C’est ce que vous souhaitez ?
– Ce que je souhaite ? Je souhaite l’étrangler et lui cracher à la gueule pendant que tu lui défonces le crâne à coups de batte de base-ball.
– Base-ball ? »

Un éclat de rire sonore couvre le bruit du vent. Une nuée de martins-pêcheurs s’envole tandis que je sens dans tout mon corps l’hilarité d’Eléna. Ses doigts se crispent sur mes phalanges, et quelques larmes lui coulent au coin des paupières.

« Allez viens Hans Brennan. Et fais attention. Nous ne sommes pas à Angstadt.
– Je sais. Où alors ?
– Partout. Nulle part. Ça dépend de toi. C’est toi qui décide de ce qu’on va trouver sur le chemin.
– Pourquoi moi ?
– Parce que tu es le grain de sable que j’attends. Depuis que j’ai vu ce caillou devenir un monde. Depuis que la brume s’est levée. Reste là. Et dis-moi. Où tu irais, là, maintenant, si tu n’étais jamais parti pour cette expédition de l’autre côté du monde connu ? Si ta vie n’avais pas tous ces cadrans, cette technologie, si tu n’avais pas tellement mal à la tempe ? »

Je lève la tête. À travers les nuages blancs, la forme vague du soleil. C’est le début d’après-midi. Et c’est bon d’être chez soi.

« Les audiences reprennent. J’ai terminé ma pause déjeuner. Je retourne au palais de justice en mangeant une pomme que j’ai acheté au stand de Tara.
– Allons-y alors. Au palais de justice. Et bon appétit. »

Nous avançons tous les deux, sur le sentier qui vient d’être tracé. Sans y penser, je plante mes dents dans la pomme rouge que j’ai sorti de ma poche.

*

* *

Nous ne sommes plus qu’à une centaine de mètres du Palais de Justice quand le premier d’entre eux se dresse. Lentement. Tête, tronc et jambes qui oscillent, tentent de maintenir un semblant d’unité. Les marques noires dessinent des motifs que personne n’a jamais répertorié. Les yeux écarlates nous observent plus résolus que jamais. Hadrien semble plus massif encore que dans mes souvenirs. Je déglutis. Il y a mille aiguilles dans ma gorge.

« C’est ma faute ?
– Non. On est trop près. Il fouille dans ta mémoire et tente de reconstruire. Mais l’entropie est trop forte.
– Le patient zéro ?
– Ouais. »

Eléna m’a lâché la main et s’est avancée. D’autres silhouettes émergent du sol. Formées à partir de la glaise même. Flavia. Octavia. Bertram. De plus en plus, de plus en plus vite. Le visage de l’Amok multiplié à l’infini.

Et déjà, la Sorcière danse. Son talon heurte la mâchoire d’une des créatures qui chancelle en hululant. Je laisse glisser la Loi à terre et, mousquet à la main, je vide mon canon dans le front de ce qui ressemble à Ethel. Si Ethel avait mesuré deux mètres dix. J’attrape l’arme encore brûlante par le canon et en frappe une forme anonyme, qui riposte en m’attrapant le bras. Un éclair blanc et ses mâchoires s’enfoncent dans mon poignet.

« Holà ! Du calme ! »

Mon agresseur est pris d’un spasme. Deux mains lui ressortent de la poitrine. Une gerbe de sang. Deux moitiés de corps retombent au sol avec un bruit mou. Éléna me regarde l’air sévère.

« Il va falloir se donner, Chevalier. »

Je hoche la tête. Ma main saisit le couteau de chasse qui dort dans son étui depuis le début du voyage. Arme blanche. L’outil des criminels et des serviteurs. La Loi dit : le déshonneur frappera le Magistrat qui s’en servira pour autre chose que pour se rappeler qu’il est au-dessus. La Loi qui git à présent à mes pieds et se roule par terre, prise d’un fou-rire incontrôlable. Du menton, elle pointe quelque chose derrière moi.
Une caricature de la bourgmestre Antoinette, dont la tête semble n’avoir qu’a été à demi esquissé par un sculpteur maladroit. Elle aussi se prépare à bondir. Ma main se détend transperce l’un des iris ardents, avant de décrire un demi-cercle. Le visage brouillon tombe en morceaux. Remplacé par une dizaine d’autres.

« Eléna ! »

La Sorcière, l’Archange a disparu. Engloutie par le flot de corps décharnés. Je tente de me frayer un passage à travers les crocs, les griffes, je taillade la chair. En vain.

Et pui un éclair.

Les poupées sanglantes sur ma droite se figent avant de noircir et de se résorber en un fin nuage de cendres. Et derrière elles…

« Honoré ! Vous n’êtes pas blessé ? »

L’Ordonnatrice – Non, Daphné. – court vers moi avant de se jeter dans la mêlée. Deux armes de poing à la main, elle transperce le flot grouillant de rayons ardents. L’Amok refuse de reculer sous la lumière qui cautérise, l’Amok ne se rend pas.

« Attention ! »

Ma lame siffle dans l’air et vient se ficher dans le front d’un garçonnet qui s’est élancé, du haut d’une branche, sur la maîtresse de la Guilde. Son corps semble se figer en plein saut avant de basculer en arrière. Daphné ne s’est pas même retourné. Elle continue à braquer les lueurs mortelles sur ses assaillants, dont les rangs diminuent à toute vitesse.

Eléna émerge enfin de la mêlée. Ses merveilleux cheveux blonds dégouttent de sang, mais elle ne semble pas porter la moindre trace de blessure. Une dernière femme s’avance sur elle, le dos courbé. Du plat de la main, elle lui brise la nuque, sans lui porter la moindre attention. Ses yeux sont désormais fixés sur l’Ordonnatrice, qui la tient en joue.

« Je t’en prie. Il fallait tirer avant, si tu voulais te débarrasser de moi.
– Je n’en n’ai pas l’intention. Je n’ai aucune raison de te tuer.
– Quelle connerie. »

Eléna se laisse choir sur le sol. Elle respire difficilement.

« Ce n’est encore une fois que logique. Si je meurs maintenant, sa réaction émotionnelle risque de tout compromettre. »

Elle lève péniblement la main vers moi. L’Ordonnatrice m’adresse l’un de ses sourire radieux.
« Honoré Hans Brennan. Je dois vous demander quelque chose.
– Quoi ?
– Où est-il ?
– La Palais de Justice. »

Je tourne le regard vers l’Archange qui hausse les épaules.

« Elle est là, maintenant, et elle sait… Peu importe. »

Avant que j’ai pu réfléchir, mon bras blessé pointe vers l’autre côté du ponton. Je grimace de douleur et de surprise.

Il n’y a ni palais, ni ponton. Un sentier rocheux mène à un plateau mangé d’herbes rases. Et au milieu.

La capsule n’est pas différente de l’image qu’en garde mon souvenir fantôme. Seule sa porte semble s’être entièrement ternie. Il est désormais impossible de distinguer ce qu’elle contient.

Daphné soupire. Un soupir qui vient de plus loin que je ne pourrais le concevoir.

« Enfin. »

Elle traverse le petit chemin d’un pas mesuré et nous la suivons. Alors que nous nous approchons de l’objet à pouvoir le toucher, une série de chiffres apparaît à sa surface. La Maîtresse de la Guilde se tourne vers moi.

« Vous seul pouvez. Vous allez ouvrir l’habitacle. Au nom de ce monde. »

Éléna ricane.

« Et de l’autre.
– Tu ne peux pas comprendre ce qui est en jeu. Tu es née ici.
– Tu n’es même pas née. Tu es la projection d’une femme, morte depuis des millénaires.
– Non. Oh non. Non ! Des millénaires ? Non, ce n’est pas possible. Ce n’est pas correct. »

La voix de Daphné a retrouvé sa douceur habituelle. Elle joint les deux mains sur sa poitrine et pousse un long soupire.

« Je n’arrive pas à croire qu’il t’ait fait ça. Il aurait tout de même pu paramétrer un peu plus correctement ta perception du temps… Le pauvre devait vraiment souffrir horriblement. Vois-tu, les planètes que nous avons choisies doivent évoluer au plus vite. Nous ignorons à quelle vitesse la situation se dégrade sur Terre. C’était également l’une des capacités d’Ezia : permettre au temps de s’écouler à la vitesse d’un esprit humain.
– Alors…
– Cela a dû être terriblement long pour toi. J’en suis désolée. En vérité, il s’est écoulé un peu moins d’une heure depuis l’atterrissage de l’EP-04. »

Eléna chancelle. Je me précipite à ses côtés, avant d’être repoussé. Sans brutalité, mais fermement.

« Ouvre la porte.
– Eléna…
– Ouvre. Cette. Porte. »

Comme dans un cauchemar, j’avance jusqu’aux chiffres qui luisent doucement. Vingt-trois cinquante-neuf. C’était un secret. Le premier qu’elle m’aura jamais confié. Deux. Trois. Cinq. Neuf.

Lentement. Très lentement, la porte coulisse.

« Bonjour, Père. »

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